La Centolla : le crabe royal emblématique de Patagonie

Gastronomie
La Centolla : le crabe royal e...
On l’appelle crabe royal de Patagonie, mais la centolla n’est pas un crabe. Cette araignée de mer, cousine des bernard-l’hermite, règne sur les fonds marins du détroit de Magellan et du canal Beagle depuis toujours. Bien avant que sa chair délicate ne séduise les palais du monde entier, les peuples marins nomades de l’extrême sud la pêchaient déjà dans ces eaux glaciales. Véritable emblème gastronomique de cette région australe, ce crustacé fascine autant par sa taille imposante que par sa saveur subtile qui en fait l’une des expériences culinaires les plus prisées du bout du monde. Aujourd’hui, cet « or rouge de Patagonie » cristallise tous les défis d’une ressource précieuse : entre héritage ancestral, pression économique et fragilité écologique.

La centolla, une espèce endémique des eaux australes

Qu’est-ce que la centolla, le crabe royal de Patagonie ?

La pêche à la centolla se pratique de façon artisanale en Patagonie, dans le respect des saisons et des quotas pour préserver l’écosystème marin.

Le Lithodes santolla, plus connu sous le nom de crabe royal de Patagonie, est un crustacé décapode de la famille des Lithodidae. Malgré son nom, il ne s’agit pas d’un véritable crabe : il est plus proche des bernard-l’ermite que des crabes classiques, et se distingue également des araignées de mer (Majidae), avec lesquelles elle partage simplement une apparence similaire. Cette singularité en fait une espèce unique, souvent source de confusion pour les non-spécialistes.

Originaire des eaux froides d'Amérique du Sud, la centolla peuple les fonds marins du détroit de Magellan, du canal Beagle et des côtes de la Terre de Feu. Adaptée à cet environnement extrême, elle présente plusieurs caractéristiques remarquables :

  • Une taille imposante : sa carapace peut atteindre jusqu’à 25 cm de largeur, et ses pattes déployées mesurent jusqu’à 1,5 m d’envergure.
  • Un habitat profond et froid : elle vit généralement entre 10 et 600 mètres de profondeur, dans des zones riches en nutriments.
  • Un cycle de vie lent : la femelle ne se reproduit qu’une fois par an, et les jeunes mettent plusieurs années à atteindre leur maturité sexuelle.

Comment la centolla est-elle devenue l'or rouge de la Patagonie ?

Les Yaganes et les Kawésqar, peuples autochtones de Patagonie, la pêchaient déjà dans les canaux australs. Grâce à des pièges artisanaux et à leur fine connaissance du milieu marin, ils capturaient ce crustacé géant pour leur subsistance. La pêche commerciale s’est développée au milieu du XXᵉ siècle avec l'arrivée des Européens, grâce à la création des premières usines de transformation à Punta Arenas et Ushuaia. Considérée alors comme une ressource abondante, la centolla a rapidement gagné en valeur, portée par la demande internationale et l’essor de la gastronomie patagonienne.

Devenue un produit de luxe sur les marchés chiliens, argentins et étrangers, elle est aujourd’hui surnommée « l’or rouge de la Patagonie ». Sa pêche, exigeante et dépendante des conditions extrêmes du sud, contribue fortement à l’économie locale. La ville de Puerto Williams, sur l’île Navarino, s’est imposée comme la capitale mondiale de la centolla, notamment grâce à son Festival annuel qui célèbre la culture, le savoir-faire et les recettes locales autour de ce crustacé emblématique.

Au fil du temps, elle est ainsi passée du rôle de nourriture traditionnelle à celui de symbole identitaire et gastronomique de la Patagonie australe.

Le crabe royal de Patagonie, un enjeu commun pour les pêcheurs chiliens et argentins

Ce crustacé est un mets raffiné à la chair douce et savoureuse, dégusté chaud en gratin ou en soupe, ou froid en salade ou simplement accompagné d’une sauce au citron.

Depuis des générations, les pêcheurs artisanaux chiliens et argentins capturent ce crustacé selon des méthodes traditionnelles respectueuses de son cycle naturel. Mais la demande internationale croissante et l'arrivée de navires industriels ont bouleversé cet équilibre, entraînant une pression accrue sur les populations matures et des tensions entre communautés locales.

Historiquement, la pêche était régie par des accords tacites entre les deux pays, mais la raréfaction des stocks et le flou territorial autour du canal Beagle ont ravivé les rivalités. Malgré des quotas de capture, des périodes de repos biologique et la création de zones protégées, les contrôles restent difficiles et la pêche illégale persiste. En réponse, des initiatives de cogestion émergent : elles associent pêcheurs, scientifiques et autorités pour repenser la gestion de la ressource. L'initiative Centolla Sustentable, lancée à Puerto Williams, promeut une certification durable valorisant les captures responsables, un modèle qui pourrait inspirer d'autres régions australes.

Les changements climatiques compliquent encore la situation. Le réchauffement et l'acidification des eaux perturbent le cycle biologique de la Lithodes santolla et déplacent ses zones d'habitat. Des programmes comme Centinelas del Clima ou des projets d'aquaculture expérimentale cherchent désormais à préserver cette espèce emblématique tout en assurant l'avenir économique des communautés côtières.

Gastronomie de Patagonie : comment déguster la centolla ?

D’Ushuaia à Punta Arenas, déguster le Lithodes santolla fait partie des expériences incontournables en Patagonie australe. Il se prépare selon une tradition simple mais exigeante, qui met en valeur la saveur douce et la texture ferme de sa chair. “Le crabe royal de Patagonie n’a besoin que de peu d’artifices. Notre rôle de cuisinier est simplement de mettre en valeur ce que la nature a déjà parfaitement créé,” explique José Almonacid, chef du restaurant Bautista à Punta Arenas. La méthode classique consiste à le cuire entier dans de l’eau de mer avant de le décortiquer minutieusement. Servie avec un filet de citron ou une touche de mayonnaise, ce crustacé révèle alors toute sa subtilité.

Dans la gastronomie contemporaine, les chefs réinventent ce produit d’exception. Le Kaupe à Ushuaia, Ernesto Vivian propose un carpaccio relevé d’huile d’olive infusée aux algues et de sel fumé, un clin d’œil à l’environnement marin de la région. À Puerto Natales, le restaurant La Santolla est entièrement dédié à ce crustacé emblématique. On peut la savourer entière fraîchement cuite ou en plats mijotés crémeux au merkén, épice fumée mapuche. L’endroit est une véritable vitrine du savoir-faire local autour de ce trésor des mers australes. Pour le pêcheur Jorge Mansilla, originaire de Puerto Natales, “partager un plat de centolla, c’est partager un morceau de notre identité, de notre relation privilégiée avec la mer.”

Si environ 30 % des captures sont consommées localement, le reste s’exporte vers le Japon, l’Europe et les États-Unis. Cette répartition souligne l’importance de préserver la ressource et les traditions culinaires qui font un symbole culturel et gastronomique majeur de la Patagonie.

Sur les traces de la centolla : un voyage au cœur de la Patagonie australe

Explorer la Patagonie à travers la centolla

Située entre fjords et montagnes, Puerto Natales est l’un des principaux ports de départ pour la pêche à la centolla et un passage incontournable de la gastronomie patagonienne.

Au-delà de la dégustation, ce crustacé emblématique est devenu un fil conducteur pour les voyageurs en quête d’expériences authentiques.

À Puerto Williams, la ville la plus australe du monde, des excursions en mer invitent les visiteurs à accompagner les pêcheurs locaux. On y observe la capture à l’aide de nasses traditionnelles, tout en découvrant la beauté brute du canal Beagle. “Nos clients sont souvent surpris par la rudesse des conditions de travail et l’expertise nécessaire pour localiser les meilleurs sites de pêche,” raconte Fernando Navarro, guide spécialisé dans ces immersions marines.

Dans la région de Magallanes, certaines initiatives de tourisme communautaire permettent d’apprendre à la préparer selon les méthodes ancestrales. Ces ateliers, souvent menés par des familles de pêcheurs, allient découverte culinaire et sensibilisation à la pêche durable. “Nous expliquons pourquoi les périodes de repos biologique sont essentielles et comment reconnaître une centolla pêchée de manière responsable,” précise Carmen Oyarzún, coordinatrice du projet Sabores de Magallanes.

La route de la centolla : un itinéraire gourmand et culturel

De Punta Arenas à Ushuaia, chaque étape offre une rencontre différente avec la centolla et ceux qui la font vivre :

Au marché aux poissons, les étals débordent de crabes fraîchement débarqués entre septembre et mars. Les échanges avec les pêcheurs, souvent issus de familles installées depuis des générations, permettent de comprendre la valeur de ce produit rare.

Dans cette ville tournée vers les fjords, le restaurant La Mesita de la Centolla est une halte incontournable. On y déguste le crustacé sous toutes ses formes : entier, ragout crémeux au merkén, ou tartare relevé aux algues locales. Une expérience simple, chaleureuse et profondément patagonienne.

Les chefs de la région la revisitent dans des créations contemporaines : carpaccio, risotto ou ravioles maison. Ces assiettes racontent l’histoire d’un territoire à la croisée des influences indigènes et européennes, où chaque bouchée relie la mer aux montagnes.

  • Puerto Williams : l’expérience ultime

Sur l’île Navarino, le voyage se termine là où tout commence : auprès des pêcheurs. Les sorties en mer et les repas partagés offrent un lien direct avec la vie locale.

Ce parcours, véritable route de la centolla, n’est pas seulement une aventure gustative, mais une exploration de la relation entre l’homme et la mer dans l’un des derniers territoires préservés de la planète.

Anne
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Anne

Experte voyage chez Korke, Anne a fait du Chili et de l'Argentine bien plus que des destinations : ce sont ses terres d'adoption, qu'elle parcourt et étudie avec une curiosité intarissable. Cette connaissance intime des régions lui permet de concevoir des séjours véritablement sur mesure, où chaque détail compte.

Animée par une passion profonde pour la culture, l'histoire et la dimension humaine du voyage, elle tisse des expériences où chaque rencontre compte, où chaque lieu porte un récit.

Au-delà de la splendeur naturelle, elle guide ses voyageurs vers l'âme même de ces territoires : celle qui bat au rythme des traditions locales et des sourires partagés.