Visviri : le village chilien au carrefour de trois nations
Un village isolé aux confins de l’Altiplano
Visviri se situe à 4 069 mètres d'altitude dans la région de Parinacota, au nord du Chili. Cette petite localité d'environ 300 habitants occupe une position géographique particulière : elle marque le point de rencontre des frontières chilienne, bolivienne et péruvienne, formant ce qu'on appelle le "triangle de Visviri" ou en espagnol, El Hito de los Tres Países. Le village est accessible via la ville d'Avaroa, considérée comme le centre urbain le plus septentrional du pays. À 127 kilomètres de Putre et 12 kilomètres de la frontière péruvienne, il représente l'un des avant-postes les plus reculés du Chili.
Des origines précolombiennes aux redéfinitions frontalières
Bien avant l'arrivée des Européens, les Aymaras habitaient ces montagnes et échangeaient des produits entre les différentes zones d'altitude des Andes. L'arrivée des Incas au XVe siècle a structuré ces réseaux commerciaux en routes administratives plus vastes.
La configuration actuelle de Visviri découle de la Guerre du Pacifique, qui opposa le Chili au Pérou et à la Bolivie. Le Chili annexa la province péruvienne de Tarapacá et la région bolivienne d'Antofagasta, privant la Bolivie de son accès à l'océan. Les traités d'Ancón et celui signé en 1904 établirent les frontières actuelles, mais le village reste aussi un espace de tensions diplomatiques récurrentes. Malgré ces bouleversements, les communautés aymaras ont maintenu une résistance culturelle. Les frontières nationales n'ont jamais totalement interrompu les liens familiaux, linguistiques et commerciaux ancestraux. Cette continuité se manifeste dans le marché tripartite, où les logiques communautaires andines coexistent avec les réglementations frontalières modernes.
Le marché tripartite : un espace commercial unique
Le marché de Visviri est un lieu d’échange traditionnel, où commerçants et habitants du Chili, de la Bolivie et du Pérou se rencontrent pour échanger leurs marchandises. La caratcéristique de ce marché est sa capacité à fonctionner comme régulateur économique transfrontalier : lorsque certains produits deviennent rares ou trop chers dans l'un des trois pays, les habitants locaux peuvent accéder à ces biens à des prix plus abordables via les échanges frontaliers.
La partie péruvienne du marché est connue pour ses produits agricoles variés provenant des vallées fertiles de la région de Tacna : pommes de terre de diverses variétés, maïs, quinoa, ainsi que des fruits frais. La Bolivie contribue avec ses textiles traditionnels aymaras, des herbes médicinales de l'Altiplano et le quinoa. Le Chili apporte quant à lui produits transformés et artisanat de qualité. Cette diversité crée un écosystème commercial où chaque région contribue avec ses spécialités, formant un ensemble complémentaire qui bénéficie à tous les participants. Au-delà des échanges matériels, le marché représente un lieu d'échange culturel immatériel inestimable. Des artisans partagent leurs techniques ancestrales de tissage, de poterie ou de travail du métal. Ces échanges de connaissances sont tout aussi importants que les transactions commerciales elles-mêmes, car ils permettent la préservation de la transmission du patrimoine culturel andin. Comme l’atteste María Choque, tisserande aymara de 72 ans : "Ici, nous n'échangeons pas seulement des marchandises, mais aussi nos histoires, nos techniques et notre vision du monde. C'est ainsi que notre culture reste vivante malgré les frontières."
Les méthodes de transaction conservent de nombreux aspects traditionnels tout en intégrant des pratiques commerciales modernes. Le troc direct demeure une pratique courante, particulièrement entre les participants qui entretiennent des relations de confiance ou appartiennent à la même communauté culturelle. Parallèlement, l'utilisation des devises des trois pays (peso chilien, sol péruvien, boliviano) facilite les transactions monétaires, permettant une flexibilité selon les préférences des commerçants.
Village de Visviri : que voir que faire ?
Dans ce village, on y découvre la vie aymara dans ce qu’elle a de plus quotidien, loin des circuits touristiques. On traverse la place principale, l’église, quelques maisons de pierre et d’adobe, avant d’apercevoir les troupeaux d’alpagas dans les champs alentour. Ce décor simple ouvre sur un panorama impressionnant : les volcans Tacora, Sajama, Payachatas et Chupiquiña se dressent tout autour, visibles depuis presque chaque rue.
À une dizaine de kilomètres au nord, le Hito Tripartito marque le point exact où se rejoignent les trois frontières. C’est ici que se tient la Feria Internacional de Visviri, chaque week-end. Dans ce marché, surnommé Feria Fantasma, on y vend de tout : fruits, légumes, viande séchée, artisanats et tissages aymaras en laine ou en pierre ponce, et le fameux cocoroco, un alcool bolivien élaboré à partir de canne à sucre. L’ambiance est animée, parfois désordonnée, mais authentique.
Les environs conservent les traces du chemin de fer Arica–La Paz, aujourd’hui hors service. Les rails rouillés, les gares abandonnées et les wagons laissés sur place rappellent l’importance qu’a eue Visviri dans les échanges entre la côte pacifique et l’Altiplano. Sur la route A-23, plusieurs villages dont Tacora, Ancolacane, Humapalca et Villa Industrial, témoignent de cette époque ferroviaire. On y croise encore quelques habitants, quelques ruines, parfois un ancien poste de gare. À proximité du volcan Tacora, les sources thermales de Calientes permettent une pause rare : des bassins naturels d’eau chaude à ciel ouvert, fréquentés surtout par les habitants du coin.
Visviri est avant tout un lieu d’observation et de rencontre. On y vient pour voir un marché transfrontalier unique, approcher la culture aymara, comprendre comment vivent les communautés andines isolées. C’est aussi un point de départ idéal pour explorer les hauts plateaux du nord chilien, entre volcans, villages et silence.
Conseils et recommandations
- Préparer le voyage : comptez cinq heures de route depuis Arica (11-CH puis A-93). Vérifiez freins et pneus, emportez de l’eau et de quoi supporter le froid. Il n’y a ni station-service ni couverture réseau régulière après Putre.
- S’acclimater : à plus de 4 000 mètres, la respiration se fait courte. Montez lentement, évitez les efforts brusques. Infusion ou mastication de feuilles de coca aident à prévenir la puna, autrement dit le mal d’altitude.
- S’équiper correctement : le climat alterne chaleur sèche le jour et gel la nuit. Habillez-vous en couches légères et isolantes, emportez un bonnet, des gants, de la crème solaire et des lunettes de soleil à filtre UV.
Experte voyage chez Korke, Anne a fait du Chili et de l'Argentine bien plus que des destinations : ce sont ses terres d'adoption, qu'elle parcourt et étudie avec une curiosité intarissable. Cette connaissance intime des régions lui permet de concevoir des séjours véritablement sur mesure, où chaque détail compte.
Animée par une passion profonde pour la culture, l'histoire et la dimension humaine du voyage, elle tisse des expériences où chaque rencontre compte, où chaque lieu porte un récit.
Au-delà de la splendeur naturelle, elle guide ses voyageurs vers l'âme même de ces territoires : celle qui bat au rythme des traditions locales et des sourires partagés.