Le Vice-royaume du Pérou : de la conquête à l’indépendance
Le Virreinato del Perú fut la plus vaste et la plus riche possession espagnole en Amérique du Sud. S’étendant initialement sur les territoires actuels du Pérou, de la Bolivie, de l’Équateur, du Chili et d’une partie de l’Argentine, il inffluenca durablement l’identité andine que partagent aujourd’hui ces nations.
La création du Vice-royaume : un espace colonial immense
Créé officiellement en 1542, le Vice-royaume du Pérou s'étendait sur un territoire colossal, du Panama jusqu'au détroit de Magellan. Cette entité administrative regroupait les conquêtes espagnoles dans les Andes et sur la côte Pacifique.
Les premiers vice-rois durent faire face à une période d'instabilité majeure. Les luttes de pouvoir entre conquistadors fragilisaient l’autorité royale. La guerre civile du Pérou, conduite par Gonzalo Pizarro en 1544, puis l’assassinat du vice-roi Blasco Núñez Vela en 1546, en témoignent clairement. La révolte des conquistadors fut finalement écrasée en 1548, ce qui permit à la Couronne d'asseoir progressivement son autorité, jusqu’à l’intervention du pacificateur Gasca.
Les réformes de Toledo : réorganisation du pouvoir impérial
L'arrivée du vice-roi Francisco de Toledo en 1569 marqua un tournant décisif. Surnommé le "Solón del Perú", il réorganisa en profondeur l'administration coloniale pendant ses douze années de mandat. Son œuvre réglementaire et administrative jeta les fondements d'un système qui perdura jusqu'à l'indépendance. Toledo instaura la mita minière, un système de travail forcé qui mobilisait la main-d'œuvre indigène pour l'exploitation des mines. Bien que controversé, ce système permit d'optimiser la production d'argent de Potosí, dans l'actuelle Bolivie. Au XVIe siècle, cette ville produisait plus de la moitié de l'argent mondial, transformant le Vice-royaume en véritable coffre-fort de l'Empire espagnol. Des milliers de travailleurs autochtones étaient mobilisés chaque année, notamment depuis les régions de Salta et Jujuy au nord de l’Argentine.
Le contrôle des populations indigènes
Le pouvoir colonial établit plusieurs mécanismes pour administrer les populations autochtones. Le système des encomiendas attribuait aux colons espagnols le contrôle de territoires et de leurs habitants en échange de leur protection et christianisation, mais constituait dans les faits une forme d'exploitation. Toledo développa également la politique des reducciones, qui consistait à regrouper les populations locales dans des villages contrôlés. Officiellement destinée à faciliter l'évangélisation, cette mesure visait surtout à améliorer le contrôle administratif et la collecte des tributs.
Ces réformes, souvent vécues comme oppressives, provoquèrent de nombreuses révoltes indigènes. La plus célèbre reste celle menée par Túpac Amaru II entre 1780 et 1781, qui secoua l'ensemble du commandement et annonça les futures luttes d'indépendance.
Le déclin et la fin du Vice-royaume
Le XVIIIe siècle marqua le déclin progressif du ressort du vice-roi de Lima. Les réformes bourboniennes visant à moderniser l'administration, eurent paradoxalement pour effet d'affaiblir Lima au profit d'autres centres de pouvoir. La création du Vice-royaume de Nouvelle-Grenade en 1717 et du Río de la Plata en 1776 réduisit considérablement ses terres et son influence. Les mouvements indépendantistes du début du XIXe siècle, inspirés par les idées des Lumières et la Révolution française, trouvèrent un terreau fertile dans les élites créoles frustrées par leur marginalisation politique. La grande révolte de Túpac Amaru II entre 1780 et 1781 avait déjà révélé les profondes fractures sociales et ethniques de la société coloniale. Ces tensions ne cessèrent de s'intensifier jusqu'à l'éclatement des guerres d'indépendance qui mirent fin au siège du pouvoir espagnol en 1824.
L’héritage colonial du Pérou : sur les traces du Vice-royaume dans les Andes
La grande vice-royauté andine a laissé une empreinte profonde que l’on retrouve encore dans l’architecture et les villes d’Amérique du Sud.
Le Pérou, où chaque pierre porte la mémoire du passé
Il n’est guère surprenant que ce soit au Pérou que l’héritage de l’ancien empire espagnol s’exprime avec le plus de force. Dans ce pays, les villes andines ont gardé la mémoire vivante d’un passé où se mêlaient pouvoir, foi et splendeur impériale.
À Lima, la Plaza Mayor garde le plan tracé au XVIᵉ siècle, cœur historique de la capitale. Le Palais du Vice-roi, devenu siège du gouvernement, fait face à la cathédrale, où repose Francisco Pizarro. Le monastère San Francisco, avec ses catacombes et ses cloîtres décorés d’azulejos, rappelle la ferveur religieuse qui animait la cité coloniale. Ce centre historique, classé à l’UNESCO, reste l’un des ensembles urbains les plus emblématiques de l’époque espagnole. À Cusco, l’héritage inca se mêle à l’architecture coloniale dans un équilibre singulier. Le couvent de Santo Domingo, construit sur les fondations du Qorikancha, ancien temple du Soleil, matérialise cette rencontre entre deux mondes. La Plaza de Armas, bordée d’arcades et de balcons sculptés, reste le cœur vivant d’une ville où le passé inca affleure à chaque pierre. Plus au sud, Arequipa, la “Ville Blanche”, symbolise l’épanouissement d’un style architectural proprement andin. Le monastère Santa Catalina, véritable cité close de murs de pierre volcanique, mêle influences espagnoles et traditions locales. Les demeures coloniales, comme la Casa del Moral ou la Casa Ricketts, montrent le raffinement des grandes familles de l’époque.
Le leg du Vice-royaume se prolonge même jusqu’à Potosí, en Bolivie, où la Casa de la Moneda et les églises baroques de San Lorenzo ou San Francisco rappellent la richesse minière et l’art du baroque andin, né de la rencontre entre traditions européennes et savoir-faire indigène.
Traces du passé colonial à découvrir au Chili et en Argentine
Au sud du continent, le Chili et l’Argentine portent encore les traces de l’administration impériale dirigée depuis Lima. Des églises, des forteresses et des plans urbains rappellent le rôle qu’a joué le Pérou dans l’organisation de ces territoires.
Santiago du Chili
Fondée en 1541 sous l’autorité du gouverneur de Lima, Santiago fut dès son origine liée à l’administration du Pérou. Cette dépendance a profondément marqué l’urbanisme, la foi et la culture de la capitale chilienne. Aujourd’hui encore, dans les rues du centre historique, les traces de ce patrimoine sont visibles à qui sait les lire.
Au cœur de la ville, la Catedral Metropolitana domine la Plaza de Armas. Sa silhouette baroque, élevée sur le tracé colonial, témoigne de l’influence artistique venue de Lima. À son sommet, la statue de Santa Rosa de Lima, première sainte d’Amérique, rappelle la ferveur religieuse partagée entre les deux pays. La Plaza de Armas elle-même, longtemps centre du pouvoir civil et spirituel, demeure un lieu symbolique pour la communauté péruvienne installée à Santiago.
Sur cette même place, une plaque discrète rend hommage à Felipe Guamán Poma de Ayala, chroniqueur indigène péruvien du XVIIᵉ siècle. Le dessin qu’elle reproduit, issu de sa Nueva Corónica y Buen Gobierno, représente une vision idéalisée de « Santiago de la Nueva Extremadura », telle qu’on l’imaginait depuis le vice-royaume. Cette évocation souligne la place qu’occupait le Chili dans la conscience andine de l’époque.
La Bibliothèque nationale du Chili abrite, quant à elle, un buste de l’Inca Garcilaso de la Vega, écrivain né à Cuzco et figure emblématique du métissage culturel andin. Cette présence symbolique rappelle combien la culture péruvienne fut un pilier de l’identité coloniale dans tout le cône sud.
L’héritage artistique du Pérou se retrouve aussi dans plusieurs musées et collections chiliennes :
- Museo de Arte Colonial de la Iglesia San Francisco : peintures et sculptures issues des ateliers cuzquéniens.
- Collection Joaquín Gandarillas (Universidad Católica) : œuvres religieuses d’origine péruvienne, représentatives du baroque andin.
- Museo del Carmen de Maipú : abrite notamment une peinture de Santa Rosa de Lima et une toile intitulée Efigies de los incas o reyes, mêlant symboles préhispaniques et art issu de la conquête.
Enfin, les recherches archéologiques récentes ont mis en lumière un passé encore plus ancien : avant la fondation espagnole, le vallée du Mapocho aurait abrité un centre administratif inca dépendant du Tawantinsuyu. Selon les études de Rubén Stehberg et Gonzalo Sotomayor (2012), les Espagnols auraient édifié Santiago sur les structures préexistantes de cet établissement andin.
Autres villes coloniales du Chili
- La Serena : fondée en 1544, elle fut planifiée sur ordre du vice-roi du Pérou. Son tracé régulier et ses églises de pierre rappellent les débuts de la colonisation.
- Valparaíso : port stratégique dépendant de Lima, centre du commerce maritime vers le sud du Pacifique. Plusieurs églises et entrepôts coloniaux y subsistent encore.
- Concepción et Chillán : forteresses coloniales édifiées pour protéger la frontière contre les Mapuches, financées par les autorités péruviennes.
- Valdivia, Niebla, Corral : citadelles et fortifications construites par des ingénieurs espagnols venus du Pérou pour renforcer la défense des côtes.
Buenos Aires
Jusqu’à la création du Royaume du Río de la Plata en 1776, Buenos Aires dépendait directement de Lima. Cette tutelle explique les similitudes entre l’urbanisme de la capitale argentine et celui des autres villes coloniales andines. Le Cabildo de Buenos Aires, sur la Plaza de Mayo, fut longtemps le centre du pouvoir administratif local, tandis que l’Iglesia de San Ignacio de Loyola montre l’influence jésuite dans la région. Le vaste ensemble de la Manzana de las Luces, regroupant écoles et institutions religieuses, fut développé sous l’autorité du gouvernement péruvien et servit de foyer intellectuel au sud du continent. Malgré les transformations du XIXᵉ siècle, Buenos Aires conserve dans ses monuments les traces discrètes de cette époque où la ville regardait encore vers Lima.
Les villes du Nord-Ouest argentin
- Salta : son Cabildo (1676) et les églises de San Francisco et San Bernardo illustrent le style baroque andin et les liens économiques avec le Pérou.
- San Miguel de Tucumán : ancien centre administratif dépendant de Lima, connu pour la Casa Histórica de la Independencia, ancienne demeure d’un notable local.
- Córdoba : fondée par les jésuites, la ville abrite l’Université nationale de Córdoba (1613) et la Manzana Jesuítica, inscrite au patrimoine mondial de l’UNESCO.
- Catamarca et La Rioja : dotées d’églises et de couvents jésuites du XVIIᵉ siècle, elles jalonnaient la route commerciale reliant le Haut-Pérou à la pampa.
Native de Bogota, Andrea a posé ses valises à Santiago, ville qu'elle décrypte avec la même curiosité qui la caractérise. En coulisses, elle gère l'ensemble des aspects administratifs qui permettent à chaque projet de voyage sur mesure de se concrétiser dans les meilleures conditions.
Son regard aiguisé sur les réalités sud-américaines constitue un socle précieux pour l'équipe, participant directement à l'authenticité des expériences proposées.