Gustave Eiffel en Amérique du Sud : un visionnaire industriel
Du système Eiffel vers l’Amérique du Sud
Gustave Eiffel (1832-1923) révolutionna l'architecture du XIXe siècle par son approche industrielle : utilisation systématique du fer forgé et de l'acier, préfabrication complète en atelier parisien, et assemblage modulaire sur site. Cette méthode permettait d'expédier des structures entières en pièces détachées depuis la France, facilitant leur transport et montage à des milliers de kilomètres.
Après un échec en Égypte en 1871, Eiffel tourna ses ambitions vers l'Amérique du Sud. Entre 1872 et 1874, il travailla intensément dans cette région en pleine modernisation, laissant une douzaine d'œuvres réparties entre le Chili, le Pérou, la Bolivie et l'Argentine. L'ingénieur français ne s'y rendit jamais personnellement, mais envoya son bras droit, Hector Lelièvre, en qui il avait pleine confiance. Lelièvre développa avec succès plusieurs travaux jusqu'à son décès prématuré en novembre 1873, qui mit fin à l'aventure sud-américaine d'Eiffel, mais pas avant d'avoir établi solidement sa réputation dans le continent.
Composer avec les réalités du terrain chilien
Le Chili, situé sur la ceinture de feu du Pacifique, présente quelques challenges architecturaux. Les structures métalliques modulaires d'Eiffel possèdent naturellement une flexibilité supérieure aux constructions traditionnelles en pierre, permettant une certaine souplesse lors des secousses sismiques.
Cette caractéristique, initialement développée pour faciliter l'exportation, s'est révélée providentiellement adaptée aux conditions chiliennes. Un autre défi relevé concerne la corrosion maritime : dans les villes portuaires, l'air salin représente une menace constante pour les structures métalliques. Les techniques de traitement des métaux et les systèmes d'assemblage limitant la rétention d'eau développés par les ateliers d'Eiffel ont permis à ces structures de traverser plus d'un siècle malgré l'environnement hostile.
Quelles sont les œuvres de Gustave Eiffel au Chili ?
Les œuvres emblématiques de Gustave Eiffel
Les œuvres authentiques de Gustave Eiffel au Chili se trouvent dans le nord du pays, et plus précisément à Arica. Cette concentration n’est pas un hasard : ces structures ont été commandées par le gouvernement péruvien dans les années 1870, à une époque où Arica appartenait encore au Pérou. Le président José Balta avait alors lancé un vaste programme de modernisation des infrastructures portuaires pour dynamiser le commerce maritime avec la Bolivie voisine.
L’église de Guayacán à Coquimbo
Construite en 1889 par une entreprise belge sur commande de l'entrepreneur Maximiano Errázuriz, cette église aurait été conçue par Gustave Eiffel lui-même. Le lieu choisi pour son édification fut le patio de la Fonderie du village de Guayacán. Cette église se distingue par son architecture néogothique entièrement réalisée en métal, une prouesse technique pour l'époque qui reflète la maîtrise d'Eiffel dans l'utilisation de matériaux innovants. Sa présence dans la région minière de Coquimbo symbolise la rencontre entre la modernité industrielle européenne et la ferveur religieuse chilienne.
La Casa de la Gobernación d'Arica
Cette construction correspond à une autre des œuvres conçues dans les ateliers de Gustave Eiffel au cœur du centre historique d'Arica. De style néoclassique, l'édifice présente un tracé en forme de U qui combine diverses matérialités : brique, pierre, bois et carrelage. Construit selon un système de maçonnerie en brique, il fut érigé en 1876 dans le contexte de la reconstruction post-séisme de 1868. Ses façades arborent de grandes fenêtres verticales et des moulures ou bossages caractéristiques. La toiture à deux versants repose sur une structure en fermes de bois avec de petits débords. L'espace intérieur révèle des poutres singulières en pin d'Oregon avec des plafonds en bois de sande équatorien.
L'union entre les deux blocs parallèles divise l'espace extérieur en deux cours, la principale donnant sur la rue San Marcos et formant un court escalier d'accès au hall central de l'édifice. Cet espace de distribution, légèrement plus bas que les ailes de façade, résout avec clarté et propreté la rencontre des toitures en bois. Déclaré Bien de Conservation Historique en 2009, ce bâtiment incarne l'élégance architecturale et la solidité technique caractéristiques des créations d'Eiffel.
La Casa de la Cultura d'Arica (ancienne douane)
La Casa de la Cultura d'Arica, anciennement l'Aduana d'Arica, constitue l'une des réalisations les plus remarquables et authentiquement documentées de Gustave Eiffel en Amérique du Sud. Conçue par le studio d'Eiffel, sa construction fut réalisée entre 1871 et 1874, alors que la région était encore sous souveraineté péruvienne. Le séisme qui frappa la zone d'Arica en 1868 détruisit l'ancienne douane située au même emplacement. Le président péruvien José Balta commanda alors à la firme Eiffel et Cie l'édification d'un vaste complexe douanier.
Cette structure métallique préfabriquée en France exprime le génie constructif d'Eiffel : sa plante rectangulaire repose sur des piliers en pierre taillée et des murs périmétriques en briques spécialement importées de France. La structure de la toiture et des piliers intérieurs est métallique, les espaces intérieurs s'organisant autour de ces piliers disposés à 3,3 mètres les uns des autres. L'harmonie des proportions de l'édifice et sa parfaite symétrie, associées à l'agréable environnement qui le cerne comme le parc, l'accès au port, la gare du chemin de fer vers La Paz et la Gouvernance Maritime. Un détail particulièrement remarquable concerne les briques de finition extérieure, toutes soigneusement numérotées et portant le sigle Eiffel embossé. Cette signature distinctive est une preuve tangible de l'authenticité de l'attribution à l’ingénieur français.
L'édifice fut déclaré Monument Historique par le Décret Suprême n° 929 du 23 novembre 1977. Aujourd'hui, la construction fonctionne comme siège de la Casa de la Cultura d'Arica, après avoir connu diverses transformations fonctionnelles au fil des décennies, servant successivement de caserne militaire, d'entrepôt portuaire et de bureaux administratifs. Sa restauration complète dans les années 1990 a permis de lui redonner son lustre d'origine.
Les œuvres disparues d'Arica
Au-delà des constructions toujours debout, les ateliers de Gustave Eiffel réalisèrent également d'autres structures pour la ville, qui n'ont malheureusement pas survécu au temps.
Le muelle (quai) d'Arica est l'œuvre disparue la plus documentée. Commandé en 1872 par José Balta, ce quai fut construit en même temps que l'ancienne douane. Après la Guerre du Pacifique, cette infrastructure portuaire fut totalement abandonnée. En 1888, le gouvernement chilien déclara le muelle en état d'abandon complet et lança une licitación publique en 1896 pour le reconstruire.
Un édifice postal (correo) fut également construit par les ateliers d'Eiffel. Situé aux rues 2 de Mayo (actuelle 21 de Mayo) et del Telégrafo, ce bâtiment présentait une architecture similaire à celle de la Casa de la Gobernación, avec une plante en forme de H. Cette construction fut malheureusement démolie pour laisser place au massif édifice Empresarial, effaçant ainsi un autre témoignage d'Eiffel dans la ville.
Les monuments chiliens que l’on attribue à tort à Gustave Eiffel
La renommée internationale de Gustave Eiffel a paradoxalement contribué à créer une confusion persistante au Chili. De nombreux bâtiments emblématiques lui sont attribués par erreur, notamment le Viaduc de Malleco, la Estación Central, la Estación Mapocho, le Museo Artequín, ainsi que diverses églises et cathédrales. Comme l'explique Bengoa, fondateur de la fondation Enterreno : « Si les firmes derrière la conception étaient françaises ou si les structures étaient en métal, elles finissaient par être attribuées à Eiffel. Ce sont des rumeurs populaires qui se sont répandues. »
Le cas du Marché Central de Santiago
Le Marché Central de Santiago montre parfaitement cette confusion historique. Inauguré en 1872, cet édifice aux structures métalliques apparentes s'inspire des grandes halles européennes et représente l'un des marchés les plus vivants de la capitale chilienne. Sa verrière centrale, soutenue par d'élégantes colonnes de fonte, a longtemps été présentée comme une œuvre d'Eiffel.
La réalité est tout autre : « Contrairement à la croyance populaire, la structure métallique n'a pas été conçue par le français Eiffel, mais par deux hommes anglais, Edward Woods et Charles Henry Driver », précise la recherche historique. Cette attribution erronée perdure néanmoins dans l'imaginaire collectif chilien.
L'église San Marcos d'Arica : le mythe le plus tenace
L'église San Marcos d'Arica représente peut-être le cas le plus frappant de fausse attribution. Construite entre 1871 et 1875, entièrement préfabriquée et expédiée en pièces détachées, cette église aux structures en fer forgé peint semblait réunir tous les éléments caractéristiques du style Eiffel : construction modulaire, architecture néogothique métallique, résistance sismique exceptionnelle.
Pourtant, des recherches approfondies dans les archives françaises, notamment les Fonds Eiffel et les documents officiels de la famille, ainsi que sur le site officiel de l'ingénieur, ont permis de conclure définitivement que le français n'a participé ni à la conception ni à la construction du projet. L'édifice fut en réalité importé intégralement des États-Unis par le gouvernement péruvien, selon un système de préfabrication totale géré par la Junta de Arquitectos e Ingenieros del Perú.
Experte voyage chez Korke, Anne a fait du Chili et de l'Argentine bien plus que des destinations : ce sont ses terres d'adoption, qu'elle parcourt et étudie avec une curiosité intarissable. Cette connaissance intime des régions lui permet de concevoir des séjours véritablement sur mesure, où chaque détail compte.
Animée par une passion profonde pour la culture, l'histoire et la dimension humaine du voyage, elle tisse des expériences où chaque rencontre compte, où chaque lieu porte un récit.
Au-delà de la splendeur naturelle, elle guide ses voyageurs vers l'âme même de ces territoires : celle qui bat au rythme des traditions locales et des sourires partagés.