Antoine de Tounens, le roi d’Araucanie et de Patagonie

Histoire
Antoine de Tounens, le roi d...
Au milieu du XIXe siècle, alors que les grandes puissances européennes se partageaient le monde, un modeste avocat français du Périgord s’embarqua dans une aventure des plus insolites. Antoine de Tounens, animé par une ambition hors du commun, traversa l’Atlantique pour réaliser un rêve insensé : fonder son propre royaume en Patagonie. Cette histoire extraordinaire, mêlant diplomatie audacieuse, alliances avec le peuple Mapuche et confrontation avec les autorités chiliennes, reste l’un des épisodes les plus fascinants et méconnus des relations entre l’Europe et l’Amérique du Sud.

L’histoire insolite d’un français devenu roi d’Araucanie et de Patagonie

Qui était Antoine de Tounens ?

Portrait d’Antoine Orélie de Tounens, l’aventurier français qui se proclama au XIXᵉ siècle roi d’Araucanie et de Patagonie.

Orélie Antoine de Tounens, né le 12 mai 1825 à La Chèze près de Chourgnac d'Ans en Dordogne, est l'un des personnages les plus atypiques du XIXe siècle. Issu d'une famille modeste d'agriculteurs, il devient avoué près le tribunal de Périgueux après des études de droit. Mais cette carrière respectable ne satisfait pas ses aspirations. Passionné de géographie et fasciné par les récits d'explorateurs, il développe une obsession pour l'Amérique du Sud et particulièrement pour les Mapuches, peuple résistant aux Espagnols.

En 1858, à 33 ans, il prend une décision radicale : il vend son poste d’avoué, rassemble ses économies et s'embarque pour le Chili. Son projet ? Créer un royaume indépendant en Patagonie dont il serait le souverain. Contrairement aux colonisateurs européens, il ne cherche pas à conquérir pour la France mais pour lui-même. Cette aventure extraordinaire se déroule à un moment où l'Amérique du Sud était en pleine transformation, théâtre d'affrontements entre jeunes nations et peuples autochtones.

Comment Antoine de Tounens est-il devenu roi d’Araucanie ?

Arrivé à Valparaíso en août 1858, Antoine de Tounens découvre une situation géopolitique en mutation. L'Araucanie, territoire historique des Mapuches, et la Patagonie sont revendiquées par le Chili et l'Argentine, mais restent sous le contrôle effectif des peuples autochtones. Les Mapuches ont farouchement résisté pendant plus de trois siècles à la colonisation espagnole puis chilienne, un exploit remarquable dans l'histoire des Amériques.

De Tounens y voit une opportunité extraordinaire. Son plan, audacieux mais non dénué de logique, consiste à s'allier avec les caciques (chefs mapuches) pour établir un État indépendant qui servirait de zone tampon entre le Chili et l'Argentine, tout en préservant l'autonomie des peuples autochtones face aux deux républiques expansionnistes. Pendant près de deux ans, il apprend l'espagnol, étudie la culture locale et établit des contacts avec différents loncos (chefs traditionnels).

Le 17 novembre 1860 marque le tournant décisif : Antoine de Tounens proclame le "Royaume d'Araucanie et de Patagonie" et se déclare souverain sous le nom d'Orélie-Antoine Ier. Il rédige une constitution inspirée des monarchies constitutionnelles européennes, définissant les contours territoriaux du nouveau royaume. Comme l'explique l'anthropologue José Bengoa : "De Tounens avait compris que pour les Mapuches, l'idée d'un roi étranger pouvait être plus acceptable que la soumission à une république chilienne ou argentine qui menaçait directement leur mode de vie traditionnel et leurs terres."

L’épopée d’Antoine de Tounens en Araucanie : alliances, chute et héritage

Le peuple Mapuche et le roi français : une alliance ambiguë

Le lonco Quilapán entretint une relation complexe avec Orélie de Tounens, faite d’alliances ponctuelles et de divergences politiques face aux enjeux régionaux.

L'accueil des Mapuches reste aujourd'hui débattu par les historiens. L'aventurier affirme dans ses mémoires avoir obtenu le soutien de chefs comme Quilapán, fils du légendaire Mañil. Les autorités chiliennes minimisent ces alliances. Les historiens penchent pour une vérité intermédiaire : certains loncos l'ont accueilli comme allié potentiel contre l'expansionnisme chilien, mais son influence resta limitée.

Le contexte éclaire ces relations. Dans les années 1860, le Chili préparait la Pacification de l'Araucanie pour soumettre ces territoires. Face à cette menace, des chefs mapuches exploraient toute alliance stratégique. De Tounens exprimait dans ses écrits une admiration réelle pour ce peuple ayant résisté trois siècles à la colonisation : "Les Araucaniens sont un peuple libre et fier, qui mérite mieux que d'être absorbé par les républiques voisines."

Plusieurs sources attestent sa participation aux parlamentos, assemblées où les loncos débattaient des questions importantes. L'explorateur Gustave Verniory et l'ethnologue Ricardo Latcham rapportent des traditions orales mentionnant ce "Roi français". Sa relation avec Quilapán semble authentique. Comme l'explique l'historien Jorge Pavez Ojeda : "La relation entre Tounens et Quilapán illustre la sophistication des stratégies politiques mapuches, capables d'instrumentaliser des acteurs extérieurs pour servir leurs propres objectifs de résistance."

Durant plusieurs mois, de Tounens vit au sein des communautés, s'adaptant à leurs coutumes. Cette période représente l'apogée de son aventure, moment où son rêve semblait réalisable. Mais son projet restait colonial : sa constitution envisageait la "civilisation" progressive des Mapuches selon un modèle européen. Il se voyait en monarque bienveillant guidant ces peuples vers le progrès. Cette ambivalence, allié contre le Chili mais porteur d'un projet de transformation culturelle, montre les contradictions de l'époque coloniale.

L’exil et les dernières tentatives du roi sans royaume

Une couverture de journal satirique tournant en dérision les ambitions royales d’Orélie-Antoine, souvent perçu comme une figure fantasque de son époque.

L'aventure d'Antoine de Tounens s'achève brutalement en janvier 1862, après à peine un an de "règne". Capturé par l'armée chilienne, il pose un dilemme aux autorités : fallait-il juger cet aventurier français comme rebelle ou comme fou ? Le président José Joaquín Pérez, engagé dans la Pacification de l'Araucanie, ne pouvait tolérer cette menace pour l'intégrité territoriale chilienne.

La solution retenue fut habile. Comme le note l'historien Benjamin Vicuña Mackenna : "Il était plus commode pour le gouvernement de traiter avec un fou qu'avec le roi d'un territoire contesté." Après des mois d'incarcération, de Tounens fut déclaré atteint de monomanie et condamné à l'internement. Cette décision délégitimait son projet sans créer d'incident diplomatique avec la France. Les représentants consulaires français obtinrent finalement son rapatriement. En octobre 1862, il fut expulsé et renvoyé en France. Mais son rêve survécut. Entre 1869 et 1876, il tenta trois fois de regagner son "royaume". Chaque tentative échoua, soit par l'intervention des autorités chiliennes, soit par manque de ressources.

Sa dernière expédition en 1876 fut pathétique. Malade et affaibli, il fut rapidement capturé et expulsé. Cette défaite brisa définitivement sa détermination. Il mourut le 17 septembre 1878 à Tourtoirac, en Dordogne, dans la misère. Comme l'écrit son biographe Marc Blancpain : "Il mourut comme il avait vécu après son aventure patagonienne : dans l'obscurité d'une France qui ne voulut jamais croire qu'un de ses fils avait été roi."

L'empreinte d'Antoine de Tounens en Patagonie

L'héritage d'Antoine de Tounens est aussi paradoxal que son aventure. Son royaume n'a jamais obtenu de reconnaissance internationale, pourtant son impact culturel persiste. Il a attiré l'attention européenne sur la résistance mapuche face à l'expansionnisme chilien et argentin, donnant une visibilité inédite à cette cause au XIXe siècle. Son histoire a laissé une certaine présence dans la littérature. Des auteurs comme José Bengoa, Jean Raspail ou Bruce Chatwin lui ont consacré des ouvrages. L'anthropologue Claudia Briones note : "Le récit de Tounens est devenu l'un des mythèmes constitutifs de la Patagonie comme territoire d'exception, espace où l'improbable devient possible."

L'aspect le plus surprenant reste la lignée dynastique. Avant sa mort, de Tounens avait désigné un successeur. Depuis, plusieurs prétendants se sont succédé. La situation actuelle est complexe : Frédéric Luz, essayiste et héraldiste français né en 1964, revendique le titre de Frédéric Ier depuis 2018, mais sa légitimité est contestée par d'autres prétendants. Tous utilisent cette plateforme pour défendre les droits des peuples autochtones de Patagonie.

Son héritage s'inscrit également dans l'imaginaire artistique. La figure du roi d'Araucanie continue d'être représentée dans l'art, le cinéma et les expositions historiques. Ces représentations, entre idéalisation et caricature, perpétuent la mémoire d'un royaume improbable devenu mythe moderne.

Voyage en Araucanie : une région liée à l’histoire à Antoine de Tounens

En France : mémoire périgourdine

Pièce de 1 peso portant le blason attribué à Orélie-Antoine Ier, rappelant l’épisode historique de sa brève monarchie autoproclamée.

Sans traverser l'Atlantique, la Dordogne conserve la mémoire du roi de Patagonie. À La Chèze, hameau de Chourgnac, se trouve le Musée des Rois d'Araucanie dans la maison natale d'Antoine de Tounens. Inscrit sur la liste des monuments historiques français, ce petit musée présente objets et documents relatifs au royaume et au peuple Mapuche. Il est dirigé par le Prince Philippe d'Araucanie, actuel prétendant au trône.

À quelques kilomètres, Tourtoirac marque la fin de l'aventure. Une plaque commémorative sur la rue principale rappelle que le roi y mourut en 1878. Le cimetière abrite sa tombe ainsi que celle du roi Achille, l'un de ses successeurs.

Découvrir l’Araucanie lors d’un voyage au Chili

En Araucanie, plusieurs sites évoquent cette page singulière de l’histoire chilienne. À Perquenco, un musée local consacre une section au roi français. Pour comprendre le contexte culturel, Temuco abrite le Museo Regional de la Araucanía, tandis que Pucón et Purén disposent de musées dédiés à la culture mapuche.

La région possède aussi des superbes paysages à travers ses parcs naturels, tous situés dans les territoires revendiqués par le royaume d'Orélie-Antoine :

Le parc Conguillío offre l’une des meilleures immersions paysagères pour ressentir l’atmosphère naturelle et culturelle de l’Araucanie.
  • Parc National Conguillío : le parc le plus visité d'Araucanie, classé réserve de biosphère UNESCO. Ses forêts d'araucarias millénaires, ses lacs et volcans en font un incontournable. Le parc propose kayak, camping, lodges et plusieurs sentiers de randonnées dont la Sierra Nevada, Las Araucarias, Los Carpinteros, Truful Truful, et circuits des lagunes Captrén, Verde et Arcoíris.
  • Réserve Nationale Malalcahuello-Nalcas : paradis des amoureux de nature, cet espace naturel réserve des paysages spectaculaires entre volcans, forêts ancestrales et rivières cristallines. Randonnée, VTT en été et ski en hiver permettent d'explorer ce territoire. Ne manquez pas les cascades de La Princesa et del Indio, ainsi que Piedra Santa, site sacré mapuche. Sentiers : Cráter Navidad, ascension du volcan Lonquimay, El Colodarito, Piedra Santa, Tres Arroyos, La Totora.
  • Parc National Tolhuaca : zone protégée depuis 1935, elle s'étend sur 6 474 hectares. Son attraction principale est le Salto del Malleco, cascade de 50 mètres accessible par un sentier de 2,2 km. Le parc offre aussi le Salto La Culebra et plusieurs chemins de randonnée : Inclusivo, Chilpas, Mesacura, Lagunilla Tolhuaca-Niblinto et Salto del Malleco.
  • Réserve Nationale Malleco : première aire naturelle protégée créée au Chili, située dans la cordillère des Andes où Antoine de Tounens a vécu parmi les communautés locales. Cette réserve de 16 625 hectares, également classée réserve de biosphère UNESCO, abrite des forêts d'araucarias et de cyprès de montagne. À l'extrémité orientale se trouvent les thermes de Pemehue, parfaits pour se relaxer après une journée de randonnée.
Mark
En savoir plus sur l’auteur de cet article
Mark

Mark incarne l'âme aventurière de Korke. Fort de sa connaissance intime de l'Amérique du Sud, il cultive une véritable passion pour ces terres qu'il arpente depuis des années, des sommets de la cordillère aux vallées secrètes.

Expert chevronné, il sait révéler les trésors insoupçonnés du Chili et de l'Argentine, accompagnant ses voyageurs vers l'essence même de ces destinations.

Passionné par l'art de vivre andin, Mark vous invite à explorer la richesse culturelle, historique et œnologique de ces terres d'émotion.